Port des Barques

Port des Barques

vendredi 4 mai 2018

Eva-Maria Berg avant que le crayon ne s'émousse




         qu'est-ce que tu imagines
         en écrivant
         regardes-tu vraiment
         au plus loin de toi vois-tu
         les visages s'approcher
         avec chaque mot te promets-tu
         de les retenir de les
         sauver qu'est-ce que tu
         imagines en écrivant
         as-tu les yeux ouverts
         face à toute angoisse et
         tout l'espoir d'une demeure
         au moins dans le texte
         un toit au-dessus de la tête
         avant que le crayon ne s'émousse

         in Tant de vent négligé, So viel Wind ungenutzt, Édition bilingue, traduite de l'allemand par
         l'auteur avec l'amicale collaboration et le soutien précieux du poète Max Alhau, 2018, p.55

 Eva-Maria Berg est née en Allemagne à la fin de la dernière guerre,  elle s'exprime aussi bien en français ou en espagnol que dans sa langue maternelle, ses recueils sont trilingues, quand ils ne sont pas bilingues...Max Alhau, poète français, lui est d'un grand soutien pour la traduction et la publication. Cette façon d'effacer les frontières en poésie mérite d'être soulignée.

         tant de vent
         négligé
         les hommes
         incapables
         de voler
         les maisons
         ancrées
         jamais
         à déplacer
         l'énergie
         trop polluée
         pour se dissoudre
         dans l'air
         mais les yeux
         il est facile
         de les entraîner
         n'importe où

         ibid p.45



         printemps

        "printemps" dis-tu et tu t'épanouis
         malgré l'hiver la langue aussi dégèle
         la glace fond dans la bouche
         des mots s'estompent encore
         avant les pensées la chaleur
         est perceptible supprime même
         des barrières comme si l'on pouvait
         franchir la dernière saison

         ibid p.17

         À coté

         combien de bleu
         supporte l'œil
         sans se noyer
         ou se disperser
         dans l'air

         ibid p.51

À petites touches, elle peint ainsi un paysage intérieur et philosophique, qu'elle nous partage.

         et tu vas jusqu'à la rive
         pour dégager la métaphore
         de la mer et de l'horizon
         de l'homme il n'en est
         plus question
         un pur être les yeux
         et la bouche l'oreille
         ouverts rien que
         l'image du ciel
         chamboulée
         peut-être encore quelques
         pas sans fond
         le vieux mot de la voie
         comme but il faut le contrer

         ibid p.49

Mais une humanité en détresse a envahi les plages, des milliers de migrants sur des barques de fortune...

         voilà la plage
         du passé
         maintenant sans mesure
         surpeuplée celui qui
         cherche du soleil
         il plonge au mieux
         dans le bain des
         corps nus
         ne réalisant pas
         s'ils sont avides
         de peau bronzée
         sans couture
         ou s'ils restent là
         sans vie comme
         des déchets rejetés

         ibid p.57
        

 Eva-Maria Berg n'aura de cesse de dénoncer courageusement les faits jusqu'à en perdre souffle, jusqu'à ce que la mer oublie d'aborder ... et qu'au tout dernier poème.

          le guide
          quitte le bateau
          à force de recueillir des
          histoires naufragées
          il les rattrape sur la terre
          pour raviver
          les hommes

          ibid p.83

Puisse cet appel vibrant nous raviver le cœur et, par nos voix unies, ébranler une Europe languissante. Les poètes depuis toujours n'ont-ils pas joué les hérauts dans un monde sourd, aveugle et muet ?

Bibliographie:
  • Tant de vent négligé, So viel Wind ungenutzt, édition bilingue, traduit de l'allemand par l'auteur en collaboration avec Max Alhau, Éditions Villa-Cisneros, 2018
sur internet:

deux articles sur l'auteur parus sur Le Temps bleu :

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