Je laisse venir la nuit occuper la page blanche. Comme elle vient
en forêt et fait taire les oiseaux. Les mots trouvent encore le passage
pour nicher dans le blanc. La cuisine s'assombrit, avec elle les objets
utilitaires : le bol, le couteau, le sachet de papier dans lequel le pain.
Les couleurs sombres facilitent l'accueil de ce qui vient lentement
s'engouffrer. Les derniers blancs tiennent encore un peu dans les yeux.
Les mots noirs se détachent dans un ultime effort. Ce qui s'écrit est
une paupière qui tombe sur des images disparues. Je laisse venir la
nuit occuper la page comme elle vient en forêt. Les mots nichent
maintenant dans le noir comme un seul corps aux gestes impossibles.
in Une cuisine en Bretagne, Lanskine, 2016, p.33
J'écoute ma voix qui répète ce que je viens d'écrire. Celui qui
écoute s'étonne de celui qui vient d'écrire et s'attendrit d'une certaine
solitude. Il demande à l'autre de ne pas le laisser seul. Continuons donc
à écrire.
ibid p.32
Il m'a offert un stylo plume de marque Waterman. Je devais avoir
douze ans. j'ai traversé un grand parking à la Rochelle, sans regarder la
mer, en tournant et retournant le stylo dans mes mains. L'ouvrant, le
refermant. Écoutant le bruit que faisait le capuchon à la fermeture. Depuis,
j'écris. Cela tient à quoi d'écrire ou de lancer des bombes de l'autre coté
d'un mur. À un oncle bienveillant, une mère attentive, un père généreux.
Bien entendu, l'écriture n'est pas toujours si reposante et le cadeau jamais
innocent.
ibid p.45
Celui qui écrit n'est pas celui que l'on croit. Vous ne le rencontrerez jamais.
Même si vous tenez le stylo. Jamais. Il écrit pour personne comme pour tous
et cette écriture ne lui appartient pas. C'est un souffle indispensable qui passe
de bouche en bouche. Ne s'attache pas, ne fait que passer. De main en main
de l'encre née d'une nature bien avant nous.
ibid p.49
Il y a des nuits comme celle là où on ne s'arrêterait plus d'écrire. Quelle compagne plus
proche que la fatigue pourrait mieux conduire nos mots.
ibid p.54
Celui qui se tait dans la matière carnée de son être, porte, mais à l'intérieur
de ses épaules, le poids de sa parole.
ibid p.55
Comme autant de murmures, chaque pensée, chaque geste trouvent un écho chez l'auteur d'Une cuisine en Bretagne. Ce recueil allie une grande simplicité de ton à une profonde réflexion sur la vie.
Il en est ainsi également de son titre.Selon ma propre expérience, les cuisines sont des lieux de création mais également des lieux privilégiés d'écoute de l'autre. En effet, celui ou celle qui y travaille a les mains occupées mais le cœur disponible, il devient plus facile à celui qui souhaite se confier de s'adresser à celui ou celle qui l'écoute de dos dans une attitude discrète et conciliante .
Le décor dépouillé des cuisines bretonnes, leurs cheminées de granit et leurs fourneaux à l'ancienne, renforcent l'intimité austère que prennent ces confidences murmurées.
Que donnera ce coup de pioche à l'intérieur de soi. Que sera la vision en ce retournement
de chair. Un passage d'enfance peut-être. Un orgasme réparateur. La découverte d'un silence
libéré de son poids.
ibid p.36
J'ai l'âge de la disparition de mon père et je marche vers le lieu de sa naissance. Un pauvre
moulin au bas d'une pente douce. Au milieu de rien. Des prés, des chemins boueux et des
flaques d'eau.
ibid p.19
La grande affaire approche, celle de prendre un mot pour ce qu'il est dans mon corps.
Un faible écho du monde.
ibid p.21
Par ce faible écho du monde Joël Bastard ouvre des portes et donne vie et sens au froissement unique d'une existence.
- Une cuisine en Bretagne, éditions Lanskine, 2016
sur internet :
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