des arbres bordent
le cortège d'un deuil
qui ne finit pas
toujours sans cesse
une feuille se détache
brusquement
dans le blanc
les yeux
se noient sans
jamais parler
de couleur ni
jamais pouvoir
crier
Éva-Maria Berg in Le voyage immobile, éditions du Petit Véhicule 2017, p.44
Lors de ce voyage immobile, Alain Fabre-Catalan et Eva-Maria Berg choisissent de mettre des mots,
chacun dans sa langue, sur ces hauts lieux du souvenir qu'ont été les camps d'expérimentations
et d'exterminations nazis, durant la dernière guerre.
Il en découle une magnifique suite de textes, qu'illustrent, comme autant de fumerolles où
s'agrippent les corps absents, de superbes dessins de Jean-Marie Cartereau.
Flammes levées
vers les plus hautes feuilles,
un ultime éblouissement assiège l'horizon.
Alain Fabre-Catalan, in Le voyage immobile, éditions du Petit véhicule 2017, p.22
À les lire, je me suis retrouvée soudain par la pensée en Alsace en 1968, juste à
quelques kilomètres de Strasbourg, dans la chambre d'expérimentations médicales,
carrelée de blanc, du camp allemand d'extermination et de travaux forcés du Struthof
à écouter les commentaires du guide d'alors, qui n'était autre que l'un de ses anciens rescapés.
En ce lieu, qui paraissait d'autant plus cynique que le paysage alentour était d'une sublime et
sauvage beauté, l'indicible témoignait de ce qui fut sans mesure...
Notre petit groupe se trouvait confronté pour la première fois aux vestiges d'un meurtre de masse
accompli sur notre propre sol et dont nous n'avions pas eu connaissance jusqu'alors.
De jeunes visiteurs allemands étaient également présents dans cette salle, qui furent pris d'un rire
nerveux et glaçant. Il nous arrive de rire pour masquer notre émotion...
Les poèmes d'Eva-Maria Berg et d'Alain Fabre-Catalan, par le duo accordé et respectueux qu'ils
instaurent, viennent balayer ce souvenir choquant.
se taire
que les voix éteintes
résonnent encore
aller sur leurs traces
celles qui
sont éteintes
les pieds
brûlants et
les yeux
brouillés
en face
du ciel
in Eva-Maria Berg, p.p.47.48
Contre le feu de l'oubli,
la litanie des noms est la seule réponse
ibid Alain Fabre-Catalan, p.14
Pas même l'envolée d'une phrase
ne saurait les tirer du néant,
de l'indicible vertige qui ravine le ciel
à la cime des bouleaux.
ibid Alain Fabre-Catalan, p.21
qui encore et
encore disperse
les feuilles
pour donner
de l'espace à
la nouvelle saison
ibid Eva-Maria Berg, p.49
Le temps d'émettre des vœux approche, je formule, ici, les miens :
Que la nouvelle saison soit celle du respect de l'autre et de l'entente cordiale dans laquelle nos pays réciproques se sont depuis engagés.
Que les auteurs courageux de ce long et vibrant poème qu'est Le voyage immobile, rédigé à quatre mains, trouvent un large écho à leurs voix et en éprouvent un profond apaisement.
Que leur geste conjoint prenne toute sa dimension aux yeux du monde : si en 2017, un poète catalan d'origine, né en 1947 dans les Pyrénées-Orientales, et une poétesse allemande, née à Düsseldorf après la dernière guerre, choisissent délibérément d'exprimer dans un même livre leur désir de survivre au désenchantement du monde, c'est bien dans l'espoir de voir la paix triompher des cendres et brouillards.
bibliographie :
- Le voyage immobile, Alain-Fabre Catalan et Eva-Maria Berg, dessins de Jean-Marie Cartereau, 2017
- http://lintula94.blogspot.fr/2017/04/eva-maria-berg-et-olga-verme-mignot-les.html
- http://terresdefemmes.blogs.com/anthologie_potique/eva-maria-berg.html
- http://levurelitteraire.com/alain-fabre-catalan-32/
- http://judaisme.sdv.fr/histoire/shh/struthof.htm
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