Port des Barques

Port des Barques

vendredi 8 septembre 2017

Mérédith Le Dez une droite raison de vivre




                      IV

         J'ai construit une maison
         sur l'aile du vent
         une maison qui n'est pas la mienne
         des voix viennent y habiter
         fertiles et vives
         comme une lumière blessante
         des êtres passent
         à l'embrasure des fenêtres
         déposent une fleur rouge
         puis s'évanouissent
         certains s'installent dans la maison
         pour durer comme ils disent
         et leurs bouches palpitent
         comme de longs poissons
         je les regarde venir et parler
         de leurs langues vivantes
         je les accueille
         à l'ombre d'un silence
         qui grandit
         dans mes murs de soif
         et de mains qui ne retiennent pas

         in Quatre chevaux de hasard, éditions Folle Avoine, 2015, p.62

Mérédith Le Dez, découverte cet été au Festival de Sète, est née en 1973, poète et écrivain breton, elle vit à Saint Brieuc, dans les Côtes d'Armor.
Elle se trouvait le 28 juillet dernier, Place du Pouffre, aux cotés de Lydia Padellec, son éditrice de La Lune Bleue, pour une lecture de Chanson de l'air tremblant : un précieux petit livret, cousu main et illustré de gravures de Chantal Gouesbet, où cavalait, entre ironie et douceur, un mystérieux destrier du temps bleu.

          Destrier du temps bleu
          dans le métal d'un matin
          tout en armes
          et piqueté d'aiguilles
          et pudiquement corseté

          il y a
          odeur de fronde et neuves fougères
          figé tout un sang prêt à bondir
          au cœur des flamboyants

          et dangereuse
          toute cette chaleur d'arbre trop vivant
          et si moite en vérité
          mal murée dans l'armure

          in Chanson de l'air tremblant, avec les gravures de Chantal Gouesbet, éditions de La 
          Lune bleue, 2016

  
   Elle guerroie également avec fougue et fracas dans  Journal d'une guerre, livre d'un tout autre ton,
   marqué par une période de conflits multiples, paru aux éditions Folle Avoine en 2013, qui lui a valu
   le Prix Yvan Goll en 2015 .

   Quatre chevaux de hasard, paru en 2015, fait allusion aux chevaux de l'apocalypse.
  Mérédith Le Dez y pose des questions existentielles tandis que l'empreinte gagne tout comme
  une ombre humide, imbibe peu à peu les  murs, le sol de terre battue et jusqu'à l'air tandis que
  ces chevaux de hasard, au loin sur l'horizon, galopent drus et noirs.  
 
  Il se dégage de cette poésie une grande sensibilité aux éléments, propre aux celtes et à leurs rivages
  battus par les flots mais toujours ouverts sur le large.


  Cavalier seul, paru en 2016, a valu à Mérédith Le Dez le Prix Vénus-Khoury-Ghata, en 2017.
  Ce recueil illustre magnifiquement la ténacité du poète.
   .
 
                       XII
 
         Dans la marche lente
         que je reprends chaque matin
         plus précisément vient cogner
         au fil du temps répétée
         dans ma tête
         la même question
         qui n'est celle ni
         du cheval des heures enfuies
         ni du cheval des lendemains
         qui auraient chanté.
 
            – Qu'as-tu fait de ton talent
               dis qu'en as-tu fait
 
         in Cavalier seul, éditions Mazette, 2016, p.69
 
 
                        XV
 
          Depuis quatre saisons
          deux fois passées
          je n'enfourche plus
          aucun des deux chevaux faciles
          à qui j'ai laissé bride sur le cou
          et même donné congé.
 
          Mais cheval des heures enfuies
          et cheval des lendemains
          qui auraient chanté
          tournent à leur guise
          dans ma tête hospitalière
          quand je vais à pied.
 
          Je fais cavalier seul
          désormais
          dans l'horizon indifférencié
          avec un sac pesant sur les épaules
          dont le poids m'est familier.
 
          Je porte indistinctement
          en lieu de casaque
          le manteau pèlerin
          qui se confond
          avec l'ardoise
          l'eau
          le silence.
 
          ibid p.75/76
 
Une volonté de se dépasser sourd de ces divers recueils, elle nous vaut ci-dessous l'incroyable allégresse des ponts eux-mêmes :

                       II

         Grand galop sur l'horizon
         les ponts élèvent
         une rumeur de joie
         à la rencontre du jour bleu
         et le soleil triomphant
         couronne l'absence
         où tremble un désir

         La mer
         dans l'échancrure d'hiver
         est pavillon d'attente
         ou caparaçon d'oubli

         in Quatre chevaux de hasard, Éditions Folle Avoine, 2015, p.60



                     VII

         Le silence a replié sur la pluie
         de grandes ailes noires

         Un dimanche de suie
         pleure à la fenêtre

         ibid p.65

Rien n'est jamais étriqué car soudain, toute cette eau rassemble et porte loin ...


                     VIII

          Le silence tremble sur la nuit

          Endormis aux paupières lisses
          vos yeux naviguent
          vers d'autres rives

          Comme une eau lente
          j'attends le matin sur l'horizon

          ibid p.66

  Mérédith Le Dez  a trouvé à l'évidence en poésie sa droite raison de vivre, car chacun de ses
  poèmes  interpelle profondément son lecteur.

 
                       XXVI

          J'écris contre la nuit bleue
          qui meurt à la fenêtre

          il neige loin sur les yeux
          à la fenêtre le ciel pâlit

         un vol d'oiseaux amers
         au-dessus de la ville
         suspend l'épée du jour

         sera-t-elle aujourd'hui d'un métal
         sourd à ma lassitude
         ou forgée à la clarté du silence
         une droite raison de vivre

         in Quatre chevaux de hasard, éditions Folle Avoine, 2015, p.86

   En guise de conclusion, je citerai ces mots du poète, notés lors de sa présentation à Sète, qui
   confirment son exigence dans le domaine de l'écriture :

  " Le fait d'être dépositaire d'une langue et d'une culture, implique d'avoir la conscience du trésor
  qu'est la parole".

  

  Bibliographie:
  • Quatre chevaux de hasard, Éditions Folle Avoine, 2015 
  • Chanson de l'air tremblant, Éditions de la Lune bleue, 2016   
  • Cavalier seul, Éditions Mazette, 2016 
  • Journal d'une guerre, Éditions Folle Avoine, 2013

  sur internet:

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