Port des Barques

Port des Barques

vendredi 16 juin 2017

Gérard Bocholier une faim de merveilles

 


         ART POÉTIQUE

         Un sentier s'aventure
         La nuit parmi les dunes
         Pour tenter ce que j'ose
         À ma table immobile


         S'orienter sur un phare
         Prendre un relais d'images
         Avancer d'un poème
         Se trouver pour se perdre


         Semer quand le vent souffle
         Un sable de lumière

         in Les étreintes invisibles, L'herbe qui tremble, 2016, p.69

Le décor est posé, le poète est à sa table, immobile, attentif à ce qui pourrait advenir...un sentier s'aventure et nous, ses lecteurs et futurs disciples, nous aventurons avec lui :

         LE DISCIPLE

         Grain à grain
         Les joies les peines
         Le chapelet des journées

         Soudain dans le vent le sablier
         Se renverse
         Les portes du cénacle
         Claquent

         Pourtant elles étaient
         Bien fermées quand
         Je fus happé
         Par la lumière

         ibid p.76

L'évènement relève, semble-t-il, d'une "Pentecôte". Un feu secret court sous la plume du poète et, tandis que le vent souffle et sème sur la page un sable de lumière, l'invisible se dévoile.


         CELUI QUI VIENT

         Le visiteur ne soulève pas
         Le heurtoir de la nuit
         On entend juste un souffle derrière la porte
         Parfois des mots se mêlent
         Au chant du vent
         Aux peurs de la pluie

         Premier levé je ne trouve
         Sur le seuil qu'une infime
         Trace de fleur
         Une empreinte de bonté

         Je sais qu'il va revenir

         ibid p.77

Un souffle derrière la porte, une trace de fleur, une empreinte de bonté, ces trois magnifiques images chargées d'une ineffable présence, surgissent tandis que, tous ses sens en alerte, Gérard Bocholier accueille l'instant.


         DANS LE TEMPS

         Qu'a-t-il fait de sa vie ?
         La question vite s'élude
         Il savoure les joies de l'instant
         Le feu des paumes
         Retrouve le pollen du tilleul
         Les touffeurs de juin dans l'école

         Pourtant la guêpe égarée
         Dans l'orage va périr
         Le lis fleuri pleure déjà
         Une larme rouge

         ibid Les étreintes invisibles, Attentions, L'herbe qui tremble, 2016, p.23

Né en 1947, Gérard Bocholier vit à Clermont-Ferrand. Il dirige la revue de poésie ARPA. Il est aussi responsable de la rubrique poésie dans l'hebdomadaire "La Vie". Sous une apparente simplicité sa poésie traduit une profonde spiritualité et une approche respectueuse du vivant.

Les oiseaux y tiennent une place privilégiée :

           AUX  OISEAUX

           Ayez un peu d'espoir pour nous
           Sinon de souvenirs
           Vous avez chanté avant que l'aube
           Incise les voûtes

           Sûrs de sa venue
           Avant que la lumière
           Baigne vos nids et les branches

           Votre gosier déjà fleuri
           Des éclosions du jour

           ibid Étreintes, p.60

           UNE LEÇON

           Ce qu'il reste à apprendre
           Ne prend aucune place
           Ou comme une nervure
           Un fil entre deux herbes

           Dans le chœur des sittelles
           Un chant d'action de grâces
           L'humble consentement
           Du jardin sous l'averse

           La confiance de l'aube
           Plus forte que la mort

           ibid Étreintes, p.80

Dans un autre chapitre de ce livre, le poète écrit à partir d'un vers de ceux qu'il appelle ses  Frères de lumière, Verlaine, Pierre Reverdy, Jules Supervielle, Guillevic, Pierre-Albert Jourdan, et parmi d'autres, Gustave Roud – présenté sur Le Temps bleu, la semaine précédente, ainsi qu'Anne Perrier, sa congénère suisse. 
Ces poètes sont à son image proches de la nature, attentifs à ses manifestations les plus humbles et les accueillent comme les signes ténus d'un mystère caché. Puissions-nous en faire autant.


          GUSTAVE ROUD

          Ô cet aguet ce dernier piège de l'éternel
          Cette houle des blés qui naît et meurt
          Au plus chaud du jour
          Sous les arbres un frisson une haleine
          Une ondée de sueur qui monte
          Vers le ciel suave encens
          Que la terre amoureuse
          Voudrait boire de toutes ses fibres

           ibid Frères de lumière, p.46

           ANNE PERRIER

           Maintenant qu'on me laisse partir
           Dans les halliers profonds du jour
           Là où les corolles ne perdent
           Rien de leur blancheur éblouissante
           Avec les âmes de ceux qui prennent
           Leur vol vers le grand arbre invisible
           Où les oiseaux du paradis s'assemblent

           ibid Frères de lumière, p.55

L'important en poésie, comme dans la vie, n'est-il pas de se laisser séduire et de consentir à ce qui vient ?

            CONSENTIR

            Je suis un veilleur qui renonce
            Par grand vent ou par grande nuit
            Je n'ai plus guère qu'une lampe
            Vacillante et quelques brindilles

            Il ne faut qu'un peu d'infinie
            Beauté pour que je m'abandonne
            Que je laisse grandir en moi
            Son inépuisable incendie
           
            in Étreintes, p.68

Ce dernier poème résume magnifiquement, selon moi, l'essentiel de toute démarche poétique.

Bibliographie:
  • Les étreintes invisibles , L'herbe qui tremble, 2016
Sur internet:

        



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