Port des Barques

Port des Barques

vendredi 28 avril 2017

Anne Perrier l'ombre est ma demeure



         Moi l'envolée
         J'ai perdu dans les airs la trace des oiseaux

         Moi l'écoulée
         En dormant j'ai perdu la voix des passeurs d'eau

         Je suis le chant qui s'en va tout seul
         Entre terre et ciel

         in Anne Perrier, Œuvre poétique 1952-1994, Le livre d'Ophélie, L'Escampette 1996, p.137

J'ai découvert Anne Perrier ( 1922-2017) par Poézibao, en 2006, et j'ai appris sa mort en janvier 2017, par la même voie. J'en profite pour remercier Florence Trocmé  de son travail de pionnière sur le net, qui nous a permis de découvrir tant de voix nouvelles et de poètes de qualité.

J'ai rédigé un premier article à propos d'Anne Perrier, intitulé Dans la royauté fragile du vivre, paru en décembre 2012, sur La Pierre et le sel. Je vous y renvoie, vous en trouverez le lien plus bas.
J'ai acheté tous ses livres disponibles et lui ai écrit également, à deux reprises aux bons soins de ses éditeurs, pour lui dire ma profonde émotion à la lire, courriers restés hélas! sans réponse et qu'elle n'a peut-être jamais reçus.

Aujourd'hui, j'ai plaisir à rendre un dernier hommage à la profondeur et à la simplicité de sa poésie, avec ce court florilège :

         Nous avions cru chanter
         Sur la plus haute branche
         Et nous n'étions qu'à peine
         Au-dessus des grenouilles

         in La voie nomade Mini Zoé, 2000, p.47

Anne Perrier était une grande admiratrice d'Émily Dickinson, poétesse recluse de la fin du 19ème, très peu connue à l'époque en France et qui pratiquait l'humour dans la sobriété et qu'elle cite en exergue de son recueil, La voie nomade :

"Et pour occupation, ceci: /Ouvrir bien grandes mes étroites mains/ Pour ramasser le Paradis."


Ramasser le paradis, Anne Perrier s'y est appliqué toute sa vie, transformant les choses les plus ordinaires en émerveillement, comme ici le désert, où elle a voyagé :

          Me fascinent
          Les routes nulles du désert
          Et la longue patience des chameaux

          in La voie nomade 1982- 1986, L'Escampette, 1996, p.167

          Ce là-bas
          Ce chant cette aube
          Cet envol de ramiers
          Cet horizon comme un jardin
          Qui repose dans la lumière
          Et les aromates

          ibid, p.167

Ou bien en décrivant simplement des arbres, auxquels elle prête une âme :

          LE TREMBLE

          L'aède au pied léger
          Le très humble
          Le traversé de vent
          Et toujours vulnérable
          Frère que d'imprécises peurs
          Convulsent

          ibid p.186


          LE SAULE

          Le bienheureux
          Déjà sa chevelure effleure
          La surface de l'invisible
          Bientôt peut-être tout à l'heure
          L'eau profonde l'emportera
          Vers les oiseaux de mer

           ibid p.187


          LE PIN

          La colline ruisselle de ses parfums
          Et l'on entend le vent glisser
          Sur sa tête soyeuse
          Pourtant il tremble
          Dans l'air ardent de mourir
          Immolé par le feu

          ibid p.190


           LE FIGUIER

          Ces mains ouvertes
          Fraîches comme le cours des rivières
          Et qui appellent
          Une impossible pluie d'été
          Sur nos cœurs secs

          ibid p.190

Ailleurs, comme dans  Le joueur de flûte, elle dénonce avec véhémence dans le grand blanc de la page tout ce qui cloche dans le monde :


          Chaque matin le monde
          S'éveille si usé
          Si frais



         
          Les enfants meurent par milliers
          Et nous marchons et nous dormons
          Sur le velours du jour



 
          Pourquoi d'un jardin si beau
          Sommes-nous incapables
          De répartir les fruits



         
          Ici les mains trop pleines
          Là-bas les mains trop vides
          Entre les deux l'amour la mort se battent




          Tant de silence sur ma page
          Blanches brassées de fleurs
          Sur toute la douleur du monde



 
          Inutile de me distraire
          Avec vos danses vos castagnettes
          Le vent ne me rapporte que bruits d'ossements

          ibid Le joueur de flûte, p.p.218/219


Là où repose désormais Anne Perrier, elle voit sans doute le monde sous un autre angle, mais par la grâce de la poésie elle touche encore ses lecteurs comme par les fentes de l'éternité.


           NOTRE SOEUR LA MORT


           Le jour se fend
           Comme un noyau de pêche
           Amande amère amande
           Un oiseau passe
           L'air tremble un peu plus fort
           Ce n'est rien
           Que le rire en pente
           Des morts

           ibid Le temps est mort 1961-1967, p.64

mais elle peut encore affirmer, sereine :


           Je suis mille
           Je serai une
           Tranquille absolue
           Équation résolue
           Charade trouvée
           Toujours verte pensée
           De Dieu

           ibid p.69

bibliographie:
  • Anne Perrier, Œuvre poétique 1952-1994, L'Escampette, 1996
  • Anne Perrier La Voie nomade Mini ZOE, 2000

sur internet:

          


           




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