Port des Barques

Port des Barques

vendredi 24 juin 2016

Max Alhau L'infini sans lequel rien ne commence


          Parfois c'est cela l'éternité,
          cet avant-goût
          de ce qui ne sera pas.
          Il suffit d'une garrigue,
          d'un arbre à l'aplomb du ciel
          pour qu'elle invoque cette aube,
          ses fastes, ses éclats
          et que la route s'éploie
          vers l'infini.

          in Du bleu dans la mémoire, IV La voyageuse,  éditions Voix d'encre 2010, avec des encres
          d'Hélène Baumel

 Max Alhau, né en 1936,  est l'auteur d'une vingtaine de recueils de poèmes.
Silhouette longiligne, il a souvent l'air tout à ses pensées mais sa poésie révèle une grande sensibilité liée à une force d'âme.

Ici, La voyageuse, dont il parle, n'a rien vu venir.

          Elle n'a rien vu surgir,
          elle a fermé les yeux :
          il neigeait sur la nuit,
          le jour ce refusait
          à défroisser la terre.

          Il ne lui restait plus
          qu'à éclairer la table
          pour mettre enfin en pièces
          les mots qui s'efforçaient
          de soudoyer la page.

          ibid.

Cette brisure qu'est la vie, il l'explore au risque même d'anéantir l'espoir.

          Tout se confond
          avec la nuit
          sans qu'il lui soit permis
          de douter de son issue,
          de ce qui tremble
          et se défait
          mais dont elle convoite
          la présence fugace.

          ibid

Le poète devient celui qui accompagne jusqu'au bout cette fuite inexorable et regarde la mort en face.

          Voyageuse,
          si tu veux ne pas t'en aller,
          absorbée par la pluie ou le feu,
          n'essaie pas de retenir ce peu de lumière
          qui se faufile vers le soir.

          Appelle l'absence par son nom,
          tu n'auras pas à te soucier
          du temps ou de l'éternité.
          Tu rejoindras le port après lequel
          rien ne commence, rien ne s'achève.

          ibid.

On écrit pour ne pas mourir ou, du moins, pour ne pas souffrir, dit à son propos Jean-Max Tixier dans le n°43 de la revue Autre Sud, consacrée au poète, fin 2008.

Dans ce même numéro, Max Alhau, s'entretenant avec Bernard Mazo, avoue un profond sentiment de solitude, un sentiment éprouvé dès le lycée, qui l'amènera à trouver cette "porte de sortie" que sont l'écriture et la contemplation de la nature et en particulier celle de la montagne, de ses sommets et de ses horizons.
L'émotion et le ressenti "constitueront pour lui des remparts à la vacuité, au désespoir, peut-être parce que la poésie ne permet pas de tricher avec soi, avec les mots, parce qu'elle est fondée sur l'authenticité de la parole."
Interrogé sur la fonction essentielle du poète et de la poésie dans le monde d'aujourd'hui, Max Alhau répond :

L'évolution de notre monde l'a réduite à presque rien. Pourtant la poésie demeure comme le dernier rempart face à la barbarie, à l'a-culture qui est de règle, face aussi à l'écrasante domination du roman en littérature. La poésie, par ce qu'elle véhicule, par sa diversité, sa richesse représente ce besoin élémentaire de s'en remettre à une autre vision de l'humanité, une vision intérieure qui permet à l'homme d'en apprendre un peu plus sur lui, sur le monde et lui ouvre les portes d'un horizon qu'il ne soupçonnait pas. La poésie, comme la vie "est belle et terriblement inutile", comme le disait Louis Guillaume, ce rêveur éveillé."
Louis Guillaume a été pour lui le poète de référence, à ses débuts dans les années 1960.


Vue sous son regard, la vie n'en est que plus précieuse :


          L'admirable
          c'est de se savoir de passage
          comme un arbre ou un ruisseau
          mais à plus brève échéance
          d'être là
          au centre du monde.
          Chaque instant
          qui glisse sur le corps
          et s'efface aussitôt
          en dit la présence.

                     Les mots les paroles
                     qui sont le calque de l'existence
                     s'achèvent en même temps
                     que la main la voix.

          Le tragique
          est aussi
          dans l'imminence de l'absence
          de ce qui s'ensuit ou non.

          in Nulle autre saison, choix de poèmes 1980- 2000, L'arbre à paroles 2002, p.14

À des années d'écart, l'esprit du poème et la raison d'écrire demeurent intacts, comme en témoigne ce poème paru en 2015 dans la jolie collection Métive des éditions Tipaza , qui s'ouvre comme une corolle de fleur :

          Tu reviens de loin,
          mais tu n'as jamais quitté ces lieux.
          Seul le vent, seuls les mots
          ont accrochés tes pas
          et t'ont conduit au-delà
          vers des pays sans frontières
          dont le relief hante tes rêves.

          Tu n'as rien connu
          si ce n'est cet espoir
          de te soustraire au temps,
          de glorifier des saisons
          qui prenaient place ailleurs,
          en marge des calendriers.

          Tu reviens de loin
          et tu t'en iras
          vers des ports    à l'écart
          et s'ouvrant
          sur l'infini
          des choses et du monde.

          in La lampe qui tremble, avec des peintures de Hamid Tibouchi, éditions Tipaza, 2015, p.1

   
 Max Alhau était présent, le 14 mai dernier, sur la péniche Daphné, ancrée au pied de Notre Dame, pour la présentation de son dernier recueil, Si loin qu'on aille,  paru en 2016 aux éditions L'Herbe qui tremble.
Si loin qu'on aille, on découvre des paysages et soi-même par le biais des mots, disait-il à propos de ce recueil avant d'en faire lecture.
J'en conserve quelques mots qui vacillent,  la crainte et sa brûlure, et bien que toute perte l'emporte sur le gain, le souvenir de ce que fut l'aurore. Un récit triste et beau dans l'esprit de ce qu'il écrit, et qui donne une profonde unité à sa création.

Ayant tout particulièrement aimé dans son recueil Nulle autre saison, paru en 2002 chez L'arbre à paroles, les poèmes en prose du Fleuve détourné, qui illustrent parfaitement l'alliance de la beauté et de l'exigence intérieure du poète, j'en transcris quelques uns en guise de conclusion.


                                                   Courir à l'oasis

                      Un visage que l'on croyait disparu remonte avec la mer :
           ce n'est plus celui que l'on serrait contre soi, mais une image se
           se détachant du paysage pour l'envahir pleinement.
                       Quelque chose au goût de menthe atteste cette tendresse
           encore proche, cette odeur de forêt après la pluie, ce qui ne
           demande qu'à renaître en signe d'accomplissement.


                                                               *


                       Arrivé sur un autre continent, on s'aperçoit que l'on n'a
            jamais quitté le port, que c'est le même ciel, les mêmes étoiles
            que l'on révère.
                        C'est ainsi que l'on voyage, les yeux ouverts sur soi et
            clos sur le reste du monde pour se frayer un passage jusqu'à la
            mer.

            in Nulle autre saison, Le fleuve détourné, éditions L'arbre à paroles, 2002, p.65


                        Dans son vol une grive emporte la rivière et les dernières
              parcelles de la prairie.
                        Ce qui subsiste s'accommode d'une présence qui ne lui
              appartient plus. Nous ignorons tout de nos croyances réfutées un
              jour de tempête. Nous attendons seulement qu'une porte s'ouvre
              et qu'une voix nous interpelle.

              ibid p.69



                        Quelle est cette voix qui parle en toi et qui n'est peut-être
               pas la tienne, ces mots que tu crois reconnaître, que tu n'as pas
               prononcés et qui ne t'appartiennent plus ?
                         Tu ne mens pas, tu ne te trompes pas : tu te hisses à l'écoute
               de l'indicible : tu n'as pas apprivoisé le silence. Tu te tournes
               vers toi. Un autre dérobe ta parole pour te la restituer à ton insu.

               ibid p.71


Bibliographie:
  • Nulle autre saison, L'arbre à paroles, 2002
  • Revue Autre Sud, n°43, décembre 2008
  • Du bleu dans la mémoire, Voix d'encre, 2010
  • La lampe qui tremble, avec des peintures de Hamid Tibouchi, éditions Tipaza 2015

sur internet:
                  


                


         

                       


 

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