Port des Barques

Port des Barques

vendredi 22 janvier 2016

Lionel Jung-Allégret un écart incalculable

         

        
         Derrière la porte ouverte

        
         tout est si étendu
         si infime
         tout est si étrange.


         Comme si l'on pouvait rester à regarder
         comme si l'on ne savait pas
         que nous ne verrions rien


         que l'infini depuis longtemps
         s'est dissipé au-delà des grands lacs gelés du ciel

         in Derrière la porte ouverte, Al Manar 2015, p.13

Ce poème d'ouverture nous introduit dans un monde étrange, dont l'auteur semble ne plus rien attendre mais que le lecteur consent  à explorer avec lui.
Derrière cette porte ouverte, il y a une infinité de portes qui battent...soit! Et s'il restait à découvrir l'envers de l'infini, à tenter encore un semblant de dialogue ou simplement à mettre des mots sur une douleur intime?

Par un écart incalculable, comme si nous marchions sur Mars, la vie goutte à goutte révèle sa présence fragile.

          Une vie d'eau
          naissant d'un reste d'algues

          une vie d'ondulations
          naissant d'un reste de soleil.
         
          Une vie de terre
          d'un reste de fumier et de gaz.

          ibid p.15


         Le reste
         n'était que vie
         tristesses
         bouleversements

         mais chaque heure
         l'a tenu comme un filet d'eau
         bu au creux des paumes

         un peu du ciel
         entre nos mains
         pour étreindre trop d'absence.

         ibid p.19

Il découle de ce constat un somptueux et bouleversant poème, conçu pour être lu et entendu d'une seule traite. Deux voix se font écho. La seconde, rédigée en italique et probablement intérieure, pose un regard différent sur " le même monde, la même blessure vivante".

        ELLE EST TA TERRE de naissance. Elle est
         le soleil et la pierre qui te nomment. La
         couleur qui s'ouvre en toi dans l'aile
         pluvieuse de la lumière.

        Elle est celle qui ne pouvait s'éteindre et s'est
        allongée au bord de la nuit, ensevelie comme
        la douleur profonde.

        Tu la sais lourde de chemins perdus, posée sur
        tant de jours, tant d'inachèvements.

        ibid p.20

Le poète, qui a dédié ce recueil à son père, décédé et à sa mère toujours fidèlement présente à chacune de ses lectures, a pour eux des paroles particulièrement émouvantes.

        Derrière la porte ouverte


        j'ai respiré le ciel
        jusque dans les draps du soir.


        J'ai senti le froid de l'air


        et des jours lointains
        y nidifier l'absence.



        J'ai respiré la peur
        j'ai respiré la vieillesse cruelle


        et senti brûler l'encens bleu
        sur les linges humides
        où naissaient nos mères.

        ibid p.p.26/27


Derrière la porte ouverte est le cinquième recueil de Lionel Jung-Allégret, publié par Al Manar. Le poète en fit lecture, le 17 décembre 2015, à L'Espace de l'autre livre à Paris 5ème, en présence de son éditeur, Alain Gorius et de son illustrateur Jean-Yves Badaire. Une lecture, magnifiquement portée par la voix de l'auteur, révélait la fluidité de l'écriture, amplifiait l'impact des images et des mots.

         J'ai trempé ma vie au langage secret des lavoirs
         mes bras dans la douceur et la lavande

         et dans la pitié tombante du jour
         j'ai vu un vent inconnu
         descendre de vos yeux

         et les oiseaux du soir qui volent bas dans le silence
         et nos vies couchées sous l'envol des oiseaux

         et le silence qui vient
         quand aucune vie ne commence.

         ibid p.29

Une voie se fait jour peu à peu, un au-delà du silence  :
           (...)
          Tu acceptes le silence
          comme un autre coté du ciel posé sur sa peau



          Tu te dis que toute musique
          n'a pas cessé.

          Qu'elle vibre encore,
          infiniment fragmentée
          dans la poudre de son corps.

          ibid p.p.44/45

 Une musique envahit peu à peu l'espace jusqu'à l'ultime poème:

         Au fond du jour
         ce que je vois aujourd'hui
         s'inventera plus tard.

         Un arbre avance un songe
         vibrant entre deux résonnances.

         Une porte de vent s'ouvre
         entre le vent d'hier
         et le vent du soir.

         Un corps dans la terre
         dessine une invisible étreinte

                     

         Je pense aux arbres
         qui pousseront sous l'eau de tes mains

         à cette vie vécue
         entre deux vies
         impensables.

         Et je sais que c'est ici
         que la musique commence.


        ibid p.p.58/59

Dernière la porte ouverte a été mis en musique sous le titre L'autre coté du ciel (quatuor vocal et électronique) par le compositeur Grégoire Lorieux. L'œuvre a été créée, en 2014, par l'Ensemble Regards, au Temple des Billettes.

Depuis son retour en poésie, en 2009, Lionel Jung-Allégret ne cesse d'affiner une méditation de plus en plus profonde sur la vie et la mort .

Bibliographie:
  • Derrière la porte ouverte, éditions Al Manar, 2015
sur internet:


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